« Slow life » et entrepreneuriat, est-ce vraiment compatible ?

Vous ne trouvez pas qu’il est magique ce mot : … « slow » ? Prononcez-le, il sonne en bouche avec douceur. Suave. Un brin sensuel. La langue se colle au palais. Il rime avec chamallow, la célèbre guimauve et « flow », cet état mental de satisfaction et d’accomplissement personnel proche du nirvana. Il évoque cette danse de notre jeunesse qui permettait le rapprochement des corps et des cœurs. En anglais, c’est tout simplement la traduction du mot « lent » … De belles images vous viennent ?

Que vient-il donc faire accolé au mot entrepreneuriat ? C’est un peu antinomique. Quelle connexion possible avec le monde de l’entreprise où les maîtres-mots sont la vitesse, la productivité et la rentabilité ? D’ailleurs, c’est une des premières questions quand vous lancez votre projet (je suis certaine qu’on vous les a déjà posées) : « Alors, çà marche ? Tu gagnes bien ta vie ? Tu as des clients ? Au fait, c’est quoi ton modèle économique ? » Comme si, à peine avoir lancé son affaire, il fallait déjà obtenir les mêmes résultats que d’autres ont mis des années à avoir. Et que la définition du succès était uniquement économique. C’est bizarre comme personne ne vous demande jamais si vous êtes profondément heureux de la nouvelle vie professionnelle que vous êtes en train de vous construire. Surtout on ne vous laisse pas le temps d’apprendre votre nouveau métier d’entrepreneur, scrutant les preuves de réussite à court terme.

Bien sûr, tout le monde ne pense pas comme cela et il existe une autre voie pour créer son activité, avec moins de pression, plus douce, plus respectueuse de son écologie personnelle… mais avec autant de résultats, sinon plus. Parlons de slow entrepreneuriat !

Le slow entrepreneuriat, entreprendre en prenant son temps mais pour du mieux

Pour moi, c’est tout simplement une façon d’entreprendre mieux mais en allant moins vite. Une manière de créer qui respecte son rythme et son tempo. Qui permet de rester à l’écoute de ses besoins et de ses envies. Qui nourrit sa vision, ses valeurs et sa joie de vivre. Qui permet de se poser les bonnes questions pour ancrer son entreprise sur des bases solides. Qui permet de faire des tests et d’échouer. Sinon, à quoi bon entreprendre ? À quoi bon prendre tous ces risques et investir autant d’énergie si c’est pour rester dans les mêmes codes dévastateurs de vitesse, d’urgence et d’efficacité à tout prix dans lesquels beaucoup ne se retrouvent plus, qui ont asséché la plupart d’entre nous et qui ont souvent motivé notre décision de créer notre activité ? Et en plus qui ne donnent pas forcément de bons résultats.

Entreprendre en douceur : la promesse est belle mais je dois vous prévenir, le chemin n’est pas facile.

Prendre le temps de se reconnecter à son rythme naturel

La première des choses est que cela nécessite de bien se connaître. Le premier prérequis est de … prendre le temps de découvrir son rythme naturel, un peu oublié. Le rythme biologique d’abord : de combien d’heures de sommeil avez-vous besoin ? Quelles sont les activités sportives et sociales qui sont importantes pour vous ? À quelles contraintes devez-vous faire face ? Votre rythme de travail : quelle est votre priorité du moment ? Comment imaginez-vous vos journées ? A quoi consacrez-vous votre temps ? Quelles sont les tâches qui vous occupent ? Quelles sont les heures où vous êtes le plus productif ? Quels travaux privilégier à quel moment de la journée ?  Quelles sont les activités qui vous régénèrent ? Celles qui coûtent en énergie ? Quelles sont les routines que vous avez mises en place ? D’où aimez-vous travailler ? Dans quel environnement ? Et tous les ingrédients pour imaginer une vie cousue main.

Un exercice que j’adore proposer à mes clients est tout simplement de s’observer pendant une semaine et de noter, heure par heure, comment nos journées sont composées et à quelles activités nous nous consacrons, avec le plus de détails possible. Et d’y ajouter le niveau de plaisir associé à chaque moment, le bénéfice concret et en quoi tout ceci sert notre vision et nos objectifs à la fois entrepreneuriaux et de vie. En général, c’est une vraie révélation !

Ne pas céder aux sirènes de l’urgence extérieure

Une fois son propre cadre posé, le slow entrepreneuriat nécessite également d’avoir le courage (je souligne le courage plusieurs fois) de ne pas céder aux sirènes des injonctions du monde extérieur qui va toujours plus vite… C’est un acte de résistance qui demande un vrai effort pour ne pas se sacrifier aux urgences des autres… qui n’en sont souvent pas.

Oh, ne croyez pas que j’ai été plus maligne que les autres et que cette façon de travailler a été l’évidence pour moi. J’ai démarré mon activité dans les starting-blocks et dans un sprint, portée comme beaucoup par l’énergie de départ. Et puis, un an plus tard, devinez ce qui arrive. Un confinement ! Et là, mon premier choc est que j’ai mis près de deux semaines à détricoter tout ce que j’avais organisé. Mais il est où mon problème pour avoir autant de choses à faire pour mettre plus de 15 jours à tout reporter ou annuler ? Et j’ai enfin pris le temps… de vivre. J’ai découvert mes enfants et je les ai trouvés drôlement intéressants. Je me suis rendu compte que je ne m’avais jamais vraiment ralenti de toute ma vie, à part pour un congé maternité de quelques mois (et je n’ai toujours pas compris pourquoi on appelait cela des congés 😊) et un burn-out, à bout de souffle, où j’étais tellement épuisée que mon seul objectif était de me refaire une santé. Et j’ai aussi recentré mon projet entrepreneurial sur ce qui me faisait vraiment vibrer. Mais vivre à un rythme slow, non, je ne peux pas dire que j’avais beaucoup expérimenté… Mais depuis que j’y ai goûté, je ne peux plus m’en passer. En quoi cela consiste-t-il ?

En pratique, le slow entrepreneuriat nécessite une décélération

Concrètement, le slow entrepreneuriat ne signifie absolument pas de ne plus travailler mais de travailler mieux, de privilégier la qualité à la quantité, d’augmenter sa productivité en cas de vraie nécessité seulement et de bien équilibrer les temps d’activités et de repos.

Cela nécessite une décélération …

  • Dire non à des propositions,
  • Renoncer à des collaborations,
  • Stopper les activités superflues et inutiles,
  • Choisir entre tes mille idées une seule sur laquelle se concentrer pour son activité,
  • Sélectionner une hypothèse de marché et la tester jusqu’au bout.
  • Faire des erreurs et apprendre pour améliorer son organisation.
  • Ralentir,
  • Déléguer,
  • Faire une chose à la fois,
  • Réduire les déplacements,
  • Arrêter de courir,
  • Alléger son agenda,
  • Se reposer quand on est fatigué,
  • Déconnecter (en enlevant notamment les notifications sur son téléphone) et en s’accordant une à deux journées par semaine de zéro tech (j’ai encore des progrès à faire 😉),
  • Ne traiter ses e-mails qu’une fois par jour,
  • Trouver des routines qui obligent à être dans un tempo lent : la lecture, l’écriture, la méditation, le yoga, les pratiques artistiques, le jardinage, la marche etc.

Il y a quelques mois, alors que j’évoquais mon rythme infernal et ma fatigue, une amie m’a dit « Tu sais Cécile, peut-être qu’au lieu de t’épuiser à courir dans tous les sens pour satisfaire tes clients, tu pourrais aussi prendre six mois pour te poser vraiment et créer le projet qui te fera vivre toute ta vie » … Comme c’est un des meilleurs conseils que j’ai entendu, je vous le partage. Même si sur le moment, cette simple idée m’a fait très peur ! Ralentir, moi ? Me poser ? Mais je n’ai pas envie de finir seule sous un pont avec mes chats… (Oui, chacun ses petites angoisses).

Comment gagner sa vie dans tout cela ?

Je vous vois venir chers lecteurs, vous vous dites « c’est un caprice de petite fille riche… ». Ralentir est un luxe réservé aux nantis qui peuvent se permettre une vie oisive. Une bande de faignants qui ne savent même pas ce que c’est que travailler dur et qui n’ont pas besoin de gagner leur vie. Je vais rapidement faire taire ce genre de réflexion. Je suis loin d’avoir acquis une indépendance financière et j’ai vraiment besoin d’un salaire… mais plus à n’importe quel prix. Non, je n’ai pas un mentor plein aux as qui me sponsorise mon activité/passion (Mais si tu me lis généreux donateur, tu peux verser ta contribution en cliquant dans l’onglet contact, j’accepte tous les modes de paiement). Je jongle parfois avec de l’inconfort, de la culpabilité, ma peur de l’avenir et de l’insécurité. Oui, cela nécessite de revoir sa manière de consommer. Oui, cela nécessite de piocher dans ses économies. Oui, cela suppose de prendre le soin de sécuriser financièrement sa création d’entreprise par des investissements, des prêts d’honneur, une bonne protection sociale et le calcul de son point mort. Mais n’est-ce pas un moindre mal pour ne plus avoir à négocier avec son bien-être et se créer le cadre idéal pour lancer son projet dans de bonnes conditions ? Sans oublier que le véritable objectif est tout de même de développer une entreprise pérenne, solide et … rentable.

Qu’est-ce que ralentir peut apporter ?

Heureusement, de formidables bénéfices sont à la clé du slow entrepreneuriat : une créativité exacerbée, une vie plus calme, un équilibre vie professionnelle et vie personnelle plus durable, bien moins de stress, une bien meilleure écoute de ses clients, du vrai temps qualitatif pour chacun, plus d’énergie et plus d’efficacité sur le long terme, une meilleure clarté d’esprit, un capacité à prendre du recul, une joie de vivre profonde et sincère, et surtout la sensation de profiter de chaque instant de sa création d’entreprise avec une grande intensité.

Si le sujet vous intéresse

Vous pouvez utilement compléter votre connaissance du sujet par la lecture de :

  • Pierre Moniz Bareto, « Slow Business : ralentir au travail et en finir avec le temps toxique », 2015, Eyrolles.
  • Cindy Chapelle « La Slow life en pleine conscience », 2016, Jouvence.
  • Carl Honoré, « Eloge de la lenteur », 2004, Marabout.

Le phénomène du slow ne s’applique pas qu’au travail mais à la vie en général. C’est le phénomène « Slow life » avec une réflexion sur le rapport à la nourriture « slow food », à la parentalité « slow parenting », le tourisme … et même l’amour « slow sex » !

Quelques messages plus personnels

J’ai ce message pour vous chers amis entrepreneurs. Être au bord du burnout en créant son entreprise n’est pas une fatalité. C’est à vous de créer votre cadre et de choisir votre rythme. C’est pour cela que vous avez créé votre entreprise, pour être libre. Alors, assumez votre liberté jusqu’au bout et autorisez-vous à vous respecter pour atteindre vos objectifs professionnels. Pour vous. Ne vous laissez pas envahir pas la pression des autres. Paris ne s’est pas fait en un jour, votre entreprise encore moins !

Je dédie ce billet à Martine-Clara, une de mes amies, coach de vie, qui est pour moi un modèle très inspirant : elle m’a fait comprendre qu’on pouvait être très épanoui, juste en étant et pas uniquement en faisant.

Je rends hommage à Emilie et Caroline, deux autres amies chères à mon cœur qui m’ont initiée avec patience depuis de longues années aux vertus de la « slow life », qui m’ont donné une autre vision du monde du travail et ont toujours réagi avec douceur et sourire à toutes mes remarques de working girl un peu speed.

Alors que le vaste monde poursuive sa course folle, je m’en vais ce tantôt contempler la beauté de l’automne, ma saison préférée, qui pointe juste le bout de son nez. Et je suis certaine que c’est au creux de cette infusion que naitra toute la créativité et l’énergie dont j’ai besoin pour donner corps à mes projets entrepreneuriaux … qui mettront le temps dont ils ont besoin pour émerger.

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